Période d'éviction et congés payés : 3mn pour tout comprendre

Période d'éviction et congés payés : 3mn pour tout comprendre

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Grâce au licenciement abusif d’un salarié de la société Frost & Sullivan Limited, société de droit anglais, la jurisprudence nationale s’aligne désormais sur la jurisprudence européenne concernant le droit à congés payés pendant la période d’éviction.


Une affaire somme toute classique s’est retrouvée devant la chambre sociale dans sa formation plénière : un salarié occupant le poste de “principal consultant” se retrouve licencié quatre années après son recrutement. Le motif du licenciement était lié à une insuffisance professionnelle suite à un accident de travail du salarié.


Or, l’employeur en prononçant un licenciement dans un contexte de maladie professionnelle avait outrepassé les dispositions du Code du travail, d’où la saisine du Conseil des prud’hommes pour contestation. 


Alors que le salarié obtient gain de cause au sujet du licenciement, il est néanmoins débouté de sa demande de versement par la société d’une rémunération correspondant à chaque mois écoulé entre son licenciement et sa réintégration assortie des congés payés. 


Pour rappel, en cas d’annulation d’un licenciement, une option est donnée au salarié : 


  • soit il perçoit une indemnisation dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois (article L.1235-3-1 du Code du travail) ;
  • soit la réintégration dans son emploi, ou à défaut dans un emploi équivalent.


Toutefois, la loi ne fixe pas le régime de la période d’éviction : celle comprise entre la date du licenciement et la réintégration du salarié dont le licenciement est jugé nul. La jurisprudence a alors pris le relais de cette lacune mais une part d’ombre persistait sur la question des congés payés.


L’hésitation provenait, en réalité, d’une contradiction entre les juges européens et le juge national. En effet, la jurisprudence nationale considérait que le salarié ne pouvait prétendre aux congés payés afférents à la période d’éviction tandis que la jurisprudence européenne apportait la réponse contraire (Cour de cassation, chambre sociale, 11 mai 2017, n° 15-19.731 ; contra, CJUE 25 juin 2020, aff. C-762/18 et C-37/19, RDT 2020. 757, obs. M. Véricel).


La jurisprudence antérieure affirmait qu’en cas de licenciement nul, le salarié touchait une indemnité d’éviction, excluant l'acquisition de jours de congés (Cour de cassation, chambre sociale, 11 mai 2017, nos 15-19.731 et 15-27.554 P et Cour de cassation, chambre sociale, 30 janvier 2019, n° 16-25.672). En effet, elle explicite que l’indemnité correspond à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans la limite des salaires dont il a été privé, sans prise en compte des jours de congés (Cour de cassation, chambre sociale, 28 nov. 2018, n° 17-19.004).


Il est pourtant bien connu qu’en vertu de l’article L. 3141-3 du Code du travail, tout salarié a le droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif. Mais peut-on considérer que la période d’éviction est une période de travail effectif ouvrant droit à congés payés ? 


Le salarié entendait bien se saisir de l’argument européen pour prétendre à l’intégralité des sommes qu’il aurait dû percevoir s’il n’avait pas été licencié, y compris ses jours de congés payés. Il décide alors d’attaquer la partie de la décision prud’homale mentionnant son refus du droit à congés payés pendant sa période d’éviction. 


Et il a bien fait, puisque la chambre sociale par une formule assumée se plie aux juges européens : “il y a lieu de juger désormais que sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141- 3 et L. 3141-9 du Code du travail.


De prime abord, la période d’éviction ne saurait être prise pour du temps de travail effectif, le contrat de travail étant rompu par l’effet du licenciement. 


Pour autant, la Cour de justice reconnaît que, pour certaines situations spécifiques, les États membres ne peuvent subordonner le droit au congé annuel payé à l’obligation d’avoir effectivement travaillé car l’absence de travail effectif peut provenir de circonstances imprévisibles et indépendantes de la volonté du travailleur. 


Il en va ainsi de l’absence du salarié pour maladie ou encore pour licenciement. 


Dans ces deux hypothèses, la période d’absence concernée doit être assimilée à du temps de travail effectif aux fins de détermination des droits aux congés payés. 


Le juge national prend directement acte de la position européenne et reprend également à son compte le tempérament européen. A savoir que  le salarié licencié qui a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son premier emploi ne peut prétendre, à l'égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé ce poste. 


Ce tempérament tombe sous le sens, le salarié occupant un poste prétendra à ses jours de congés auprès de son second employeur. 


Ainsi, la société ayant licencié abusivement le salarié doit lui verser non seulement la rémunération correspondant à la période d’éviction mais également l’équivalent du droit à congés payés afférents à cette période. 


Alors gare aux licenciements abusifs pour les employeurs et salariés : n’oubliez pas de solliciter l’équivalent de votre droit à congés payés en cas de licenciement jugé nul !

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note d'information
Dans un raisonnement analogue, l’absence d’un demandeur d’asile à l’audience a été considérée comme justifiée « compte tenu de la pandémie du Covid-19 en cours et des mesures de confinement prises par l’autorité publique, alors que le département du Haut-Rhin constitue un foyer majeur de l’épidémie, les circonstances caractérisant un cas de force majeure » (CA Colmar, 6ème chambre, 23 Mars 2020, n°20/01206 et n°20/01207).

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