Discrimination au travail : quels risques pour celui qui dénonce ?

Discrimination au travail : quels risques pour celui qui dénonce ?

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Qu’est-ce qu’une discrimination ?

La discrimination au travail consiste à défavoriser une personne, candidate à un stage ou à un poste ou même à une période de formation au sein d’une entreprise en raison de critères non-objectifs. Cette pratique est interdite par l’article L1132-1 du Code du Travail ainsi qu’aux articles 225-1 et suivant du Code Pénal.  

La discrimination s’établit par la présence de 3 éléments : un traitement moins favorable en raison de critères « interdit » distinguant un salarié ou un groupe de salarié se trouvant pourtant dans une situation objectivement comparable aux autres, dans un domaine prévues par la loi. Le domaine prévu par la loi est large, il comprend notamment la période d’embauche des salariés, toute la durée effective de leur contrat de travail ainsi que leur licenciement.

Cette discrimination qu’elle soit de manière directe ou indirecte est prohibée. Une discrimination directe est visible, affichée, c'est-à-dire qu’un salarié ou un groupe de salarié va être traité de façon moins favorable aux autres salariés pourtant dans des situations comparable simplement pour un motif telle que : le sexe, l’origine, la grossesse, l’orientation sexuelle, les convictions religieuses ou politiques, les activités syndicales, […]. La loi énumère plusieurs motifs de discrimination. Ce type de discrimination directe suppose la démonstration d’une intention de discriminé. Par exemple, en matière de discrimination directe, c’est le cas d’un règlement intérieur qui prévoit la possibilité aux hommes seulement de demeurer au sein de l’entreprise après l’âge de 50 ans (Cass soc. 7 décembre 1993 n°88-41422). Cependant, une discrimination peut s’établir même en l’absence de comparaison de traitement entre salarié. Par exemple, le fait qu’un salarié soit sanctionné puis licencié du fait de son homosexualité est considéré par la Cour de Cassation comme une discrimination (Cass soc. 6 novembre 2013 n°12-22270). Ainsi, même si tous  les salariés sont dans une situation comparable, et qu’ils soient traités de la même manière, la discrimination est avérée dès lors que le critère ayant fondé la décision est illicite. Ici la jurisprudence prends en compte le critère interdit de “ l’orientation sexuelle ” pour pouvoir identifier la discrimination. Un employeur ne doit donc pas se fonder sur l’orientation sexuelle pour prendre une quelconque mesure disciplinaire. 

La discrimination indirecte elle, est plus subtile, plus difficile à prouver donc mais elle reste tout de même prohibée. Elle correspond à la situation dans laquelle une politique, une  réglementation ou une pratique d’entreprise s’applique à tous ou un groupe de personnes de la même manière, mais qui peut avoir un effet préjudiciable sur certaines d’entre elles en raison de leurs caractéristiques. La discrimination indirecte se base donc sur des critères d’apparences « neutres ». Ce type de discrimination s’attache elle à regarder non pas l’intention de discriminer, mais l’effet que cela engendre sur les salariés victimes. Par exemple, le fait pour une entreprise de publier une offre d’emploi dans laquelle était exigée la présentation d’une carte électeur du candidat alors que le droit de vote est accordé qu’aux candidats nationaux ou d’une certaine mesure faisant partie de l’Union européenne constitue bel et bien une discrimination indirecte (Cass crim. 20 janvier 2009 n°08-83710). Un autre exemple concerne une discrimination indirecte fondée sur le sexe dans lequel les femmes obtenaient plus aisément des avantages relatifs a une bonification d’ancienneté pour la retraite. Cette bonification était basée sur le fait d'élever au moins 3 enfants. Celle-ci était indirectement accordée aux femmes qui étaient majoritaires à les élever, contrairement aux hommes qui poursuivaient tout de même leur activité. Ainsi, ces mesures d’apparence « neutre » (bonification pour élever ses enfants, présentation d’une carte électeur...) étaient en fait subordonnées à un critère interdit soit de sexe ou de nationalité. 

A noter : La discrimination ne doit pas être confondue avec l’inégalité de traitement ! En effet, il est possible pour une entreprise de traiter différemment des salariés lorsqu’ils ne se trouvent pas dans une situation objectivement comparable. Si les critères de distinction entre les salariés sont « objectifs et proportionnés », cela ne peut être considéré comme une discrimination indirecte. Une différence de traitement peut justifier notamment un refus d’embauche en fonction de critères tel que l’âge, ou encore le sexe. Par exemple, une agence de mannequinat dans le secteur de la mode peut, pour une campagne publicitaire choisir de ne sélectionner que des femmes afin de représenter une marque ou encore autre exemple, dans des secteurs particuliers où la sécurité est essentielle, une entreprise peut refuser certains postes aux travailleurs « trop jeune ».  

La jurisprudence a récemment apporté quelques précisions en matière de discrimination au travail notamment en termes de protection des salariés dénonçant des faits de discrimination ainsi qu’en matière de délais de prescription de l’action en discrimination.

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Dans un raisonnement analogue, l’absence d’un demandeur d’asile à l’audience a été considérée comme justifiée « compte tenu de la pandémie du Covid-19 en cours et des mesures de confinement prises par l’autorité publique, alors que le département du Haut-Rhin constitue un foyer majeur de l’épidémie, les circonstances caractérisant un cas de force majeure » (CA Colmar, 6ème chambre, 23 Mars 2020, n°20/01206 et n°20/01207).

Quelle protection pour un salarié dénonçant des faits de discrimination ?

Lorsqu’un salarié ou un stagiaire souhaite dénoncer des faits de discrimination, il bénéficie d’une véritable immunité contre les « représailles » de son employeur. Ainsi, il ne peut faire l’objet de sanctions, d’un licenciement ou toutes autres actes en réaction à sa dénonciation. En cas de rupture de son contrat de travail, il pourra donc demander l’annulation de celle-ci et sa réintégration dans l’entreprise. Cette immunité est prévue à l’article L1132-3 du Code du travail. Son objectif est d’encourager les salariés à dénoncer ces faits afin de lutter contre la discrimination au travail. Cette protection joue même si les faits de discrimination ne sont pas établis.

Cependant, cette immunité pour les salariés dispose d’une limite : l’exigence de bonne foi. Lorsqu’un salarié est mal intentionné, c'est-à-dire de mauvaise foi dans la dénonciation des faits de discrimination et souhaite simplement nuire à l’employeur, il ne peut être protégé par ce principe d’immunité. Pour qu’un salarié soit considéré comme étant de « mauvaise foi » dans la dénonciation des faits de discrimination,  il doit par exemple avoir connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce (Cass soc. 29 septembre 2016 n°15-17.511). Cependant, la mauvaise foi dans la dénonciation des faits de discrimination ne peut être déduite du seul fait que ceux-ci ne s’avère pas établis (Cass soc. 10 mars 2009 n°07-44.092).

Un arrêt récent  de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 13 janvier 2021 (n°19-21.138) vient s’inscrire dans la lignée jurisprudentielle existante en matière de dénonciation de faits de discrimination. Un ingénieur électronique a dénoncé auprès de son supérieur hiérarchique être victime de discrimination en raison de son origine. Celui-ci l’a alors licencié pour faute grave en estimant que ces propos étaient fallacieux et mensongers. La Cour de cassation, après avoir rappelé le principe d’immunité des salariés concernant la dénonciation des faits de discrimination, mets en avant le rôle important de la bonne ou la mauvaise foi dans la dénonciation. Elle réaffirme la limitation de la protection accordée aux salariés lorsque la dénonciation est détournée de son but. Le salarié peut donc être licencié par son employeur si les faits qu’il a dénoncés s’avèrent mensongers, la Cour de Cassation refuse de le protéger.

Ainsi, l’employeur peut licencier le salarié lorsque deux conditions s’avèrent être effective : il faut que les faits de discrimination ne soit pas établis et que le salarié qui a dénoncé ces faits soit de mauvaise foi. Son licenciement sera donc valable pour motif disciplinaire ou le cas échéant, pour faute grave en ce que le salarié aurait manqué à son obligation de loyauté, inhérente dans tout contrat de travail.

Quels délais de prescription pour un salarié qui souhaite exercer une action en discrimination ?

Tout salarié, stagiaire ou candidat à un emploi victime d’une discrimination peut lui-même agir en exerçant une action en discrimination. Il peut exercer son action devant les juridictions civiles afin de rendre la mesure discriminatoire irrecevable et réparer le préjudice qu’il a subi. Il peut également se tourner vers les juridictions pénales afin de sanctionner son employeur.

Cette action en discrimination est enfermée dans un délai qu’il est nécessaire de connaître : le délai de prescription. Il correspond au temps dont un salarié bénéficie afin de faire valoir ses droits devant une juridiction. Passé ce délai, l’action sera irrecevable.

En matière de discrimination, ce délai est particulier. Avant la loi n°2008-561 qui réforme la prescription civile, l’action en discrimination se prescrivait au bout de 30 ans. La victime de discrimination devait donc agir durant les 30 ans à partir du moment où les faits de discrimination ont été commis. Depuis cette réforme, désormais, la prescription est de 5 ans à partir du moment où les faits de discriminations ont été révélés. Cette prescription s'applique depuis le 19 juin 2008 précisément. C’est l’article L1134-5 du Code du travail qui prévoit cela.  Dorénavant, le délai de départ de la prescription n’est plus la date de commission des faits de discrimination, mais sa date de révélation. Par exemple, lorsqu’un salarié se rend compte qu’il a subi des agissements discriminatoires, le délai de prescription commencera à courir. Un arrêt a jugé que n’est pas prescrite l’action en discrimination d’un salarié dès lors que celle-ci a été révélée par courrier de l’inspection du travail moins de 5 ans avant son action en justice (Soc. 20 février 2013 n°10-30.028).

En la matière, un arrêt récent en date du 31 mars 2021 (n°19-22.557) apporte une précision concernant ce délai de prescription. Cette solution s’avère protectrice des salariés victimes de discrimination. Une salariée travaillant au sein d’une société du Groupe Drouot ayant été désignée par celle-ci, représentante syndicale en 1977 et permanente syndicale par la suite. Après avoir fait valoir son droit à la retraite en 2011, la juridiction prud’homale est saisie le 10 avril 2012 au motif d’une discrimination syndicale s’étant déroulé tout au long de sa carrière. En effet, certains actes discriminatoires ont eu lieu pendant la période couverte par la prescription de 30 ans, c'est-à-dire avant la réforme. La prescription était donc acquise Cependant, certains autres faits ont été révélés postérieurement à la réforme durant la période de la prescription quinquennale et la prescription courait donc encore.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si en matière de discrimination continue lorsque des faits de discrimination ont durée tout au long d’une carrière et que certains ont été connus sur une période prescrite, l’action en discrimination était encore possible ?  

La Cour de cassation raisonne étonnamment en faveur de la salariée en considérant que son action en discrimination peut concerner l’intégralité des faits discriminatoire (y compris ceux normalement couvert par la période de prescription trentenaire). Elle prend donc en compte la continuité de l’infraction et ne distingue pas la période et le régime de prescription applicable à chacun des faits. La réparation des dommages et intérêts comprenant donc l’intégralité des faits discriminatoires.

A noter : en matière de délais de prescription de l’action en discrimination, l’article 2232 du Code Civil fixe cependant un délai butoir de 20 ans ! Ainsi, l’action en discrimination doit être effectuée dans un délai de 20 ans maximum après la commission des faits discriminatoires même si la révélation des faits intervient tardivement. Par exemple, si les faits discriminatoires ont été révélés 17 ans après leur commission, le salarié victime n’aura que 3 ans pour agir et non 5 ans.

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